
Le Lac Lungwe est bien plus qu’un simple miroir d’eau niché dans les montagnes du Sud-Kivu. Situé au cœur de la Réserve Naturelle d’Itombwe (RNI), dans l’est de la République Démocratique du Congo, ce site exceptionnel allie beauté naturelle, mystique culturelle et enjeux écologiques majeurs. Découvert en 1940, il demeure aujourd’hui l’un des trésors méconnus du Rift Albertin, à la fois fascinant et fragile.
Localisation du Lac Lungwe
Le Lac Lungwe se situe dans la partie nord de la Réserve Naturelle d’Itombwe, précisément dans le secteur d’Ulindi, non loin du territoire de Mwenga (Sud-Kivu). Il s’étend dans la zone d’utilisation multiple de la réserve, où les activités humaines traditionnelles sont tolérées sous conditions strictes.
La RNI couvre une superficie variant entre 5 732 et 6 009 km², à cheval sur quatre territoires : Mwenga, Uvira, Fizi et Shabunda. Ce vaste espace, blotti à l’ouest du lac Tanganyika, abrite des forêts, des montagnes et une biodiversité unique au monde.
Un paysage du Rift Albertin
Le Massif d’Itombwe forme l’épine dorsale géologique du site. Il fait partie de la chaîne des monts Mitumba, dans le grand fossé du Rift Albertin l’un des écosystèmes les plus riches d’Afrique. Cette zone montagneuse abrite la plus vaste forêt de haute altitude du continent, avec une mosaïque de forêts tropicales, clairières, zones humides et bambouseraies.
Grâce à cette diversité, Itombwe joue un rôle écologique essentiel dans la régulation du climat local et la conservation des eaux de surface.
Découverte et intérêt scientifique
L’histoire du Lac Lungwe s’inscrit dans les premières explorations coloniales :
- 1940 : Découverte du lac
- 1943 : Construction de la route Mwenga–Mayamoto
- 1955 : Étude scientifique publiée dans le Bulletin des Sciences de l’Académie Royale des Sciences Coloniales
Ces recherches ont permis de révéler la valeur écologique exceptionnelle du massif d’Itombwe, classé aujourd’hui parmi les sites prioritaires pour la conservation en Afrique centrale.
Une biodiversité unique
Bien que peu étudié, le Lac Lungwe s’insère dans un hotspot de biodiversité mondialement reconnu. La RNI abrite :
- Plus de 1 000 espèces végétales
- Environ 750 espèces de vertébrés terrestres
- 52 espèces menacées au niveau mondial
- Le gorille de Grauer (Gorilla beringei graueri), endémique et en danger critique
- La grenouille dorée d’Itombwe (Chrysobatrachus cupreonitens)
- Des oiseaux rares comme l’Engoulevent de Prigogine et le Martinet de Schouteden
Chaque recoin du massif révèle un sanctuaire de vie, encore partiellement inexploré.
Croyances et traditions autour du Lac Lungwe
Un lac sacré dans l’imaginaire local
Pour les communautés riveraines, le Lac Lungwe est habité par des esprits ancestraux. Autrefois, les anciens interdisaient certaines activités autour du lac ,notamment la pêche ou le bain à des périodes précises ,par respect pour les forces invisibles censées le protéger.
Ces croyances ont paradoxalement joué un rôle de régulation écologique, prévenant la surexploitation et instaurant un système coutumier de conservation, bien avant les approches scientifiques modernes.
Des savoirs écologiques précieux
Une étude menée en 2021 a démontré que les savoirs traditionnels contribuent directement à la préservation des écosystèmes. Ces connaissances, transmises oralement, fixent des règles de chasse, de récolte et d’accès aux zones sacrées.
Cependant, ces valeurs culturelles restent souvent marginalisées dans les politiques publiques, car encore perçues comme de simples superstitions. Pourtant, elles constituent une base essentielle pour une conservation durable.
Menaces et défis actuels
Le Lac Lungwe fait face à plusieurs pressions majeures :
- Braconnage : utilisation d’armes à feu et de pièges artisanaux
- Exploitation minière artisanale, notamment de la cassitérite
- Déforestation pour le bois et le charbon de bois
- Pression démographique et migrations internes
Conflits armés récents
Depuis mars 2025, la zone est partiellement affectée par les affrontements entre groupes armés (AFC/M23 et milices locales wazalendos). Cette insécurité a provoqué :
- Le vol d’équipements de conservation
- Des traumatismes psychologiques chez les écogardes
- Le déplacement de populations vers Mwenga
- La suspension des activités de suivi écologique
Ces perturbations compromettent directement la continuité des efforts de gestion et la sécurité du personnel de la réserve.
Une conservation participative
Face à ces défis, un processus participatif inédit a été initié dès 2008, impliquant plus de 550 villages. Grâce à la cartographie participative, les communautés ont pu définir les zones dédiées à la conservation, à l’habitat, à l’agriculture et à la chasse traditionnelle.
Cette approche inclusive renforce la cogestion communautaire et le sentiment d’appartenance, conditions essentielles pour une protection durable du site.
Perspectives et opportunités
Vers un écotourisme responsable
Les communautés autour du Lac Lungwe montrent un intérêt croissant pour le tourisme écologique et culturel. À terme, la création de circuits communautaires, de sentiers d’observation d’oiseaux et de randonnées pourrait générer des revenus durables tout en protégeant le patrimoine naturel.
Intégrer science et culture
L’avenir du Lac Lungwe repose sur la synergie entre science moderne et savoirs ancestraux. Les partenaires de la RNI sont invités à soutenir:
- Le biomonitoring des grands singes
- L’équipement des écogardes
- Le renforcement des capacités communautaires
- Les activités alternatives : apiculture, agroforesterie, écotourisme
Conclusion
Le Lac Lungwe est à la fois un trésor écologique et un miroir culturel du peuple d’Itombwe. Sa préservation dépendra de la capacité collective à protéger la nature sans effacer la culture.
Dans un contexte d’instabilité sécuritaire et de pressions économiques, il demeure un symbole d’équilibre fragile entre l’humain et la nature.
Protéger le Lac Lungwe, c’est préserver un pan de l’âme du Congo.


